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Question d’éthique : le modèle d’affaires controversé des applications mobiles

Alors que les applications en ligne génèrent des revenus souvent colossaux en dépit de leur gratuité, elles font l’objet de critiques concernant leur manque de transparence et leur propension à générer des comportements addictifs.

De quoi parle-t-on ?

De nombreuses personnes jouent en ligne depuis leur ordinateur, ou plus simplement sur leur smartphone via une application pour passer du temps dans une salle d’attente ou dans les transports. D’autres, encore, utilisent des applications sur les réseaux sociaux pour rester en contact avec leur entourage. Toutes se reconnaîtront dans les deux situations suivantes. D’un côté, le téléchargement du jeu ou de l’application nécessite de donner accès à des données de navigation (via les cookies sur l’ordinateur) ou aux données du smartphone (géolocalisation, contacts, historique des appels, fichiers multimédia…). De l’autre côté, l’application peut tirer avantage de la vulnérabilité de l’utilisateur, devenu « accro » au jeu, pour lui vendre les options nécessaires à sa progression dans le jeu ou encore pour collecter une plus grande quantité de données personnelles en vue de leur revente.

Question d’éthique : le modèle d’affaires controversé des applications mobiles
Ces jeux sont-ils aussi gratuits qu’ils le prétendent ? (source Nextpit)

Le business lucratif des applications mobiles

Si la plupart des applications en ligne sont gratuites, elles génèrent pourtant des revenus colossaux. A titre d’illustration, GlobalData estime que l’industrie du jeu mobile pèsera 272 milliards de dollars d’ici 2030. La tactique des industriels est toujours la même : elle consiste à faire adopter l’application par les utilisateurs et à miser sur un bouche-à-oreille positif pour maximiser le nombre de téléchargements et d’utilisateurs, et devenir ainsi populaire sur les plateformes de téléchargement mobile.  Une fois l’application populaire, l’objectif est de gagner de l’argent. Deux options majeures s’offrent alors à l’entreprise gestionnaire de l’application : soit proposer à la vente une partie du contenu (par exemple, il devient obligatoire d’acheter des éléments pour progresser dans un jeu) ; soit exploiter par la publicité ou revendre les données personnelles des utilisateurs, ce qui constitue l’essentiel du modèle économique de la plupart des réseaux sociaux.

Peu de transparence, beaucoup d’addiction

Même si le RGPD tente de réguler l’utilisation des données personnelles, la gestion des applications mobiles par les industriels pose dans la pratique de nombreuses questions éthiques. En effet, lors de l’installation des applications, l’utilisateur donne accès à des données personnelles – plus ou moins importantes du point de vue de la vie privée ou plus ou moins pertinentes par rapport au service rendu par l’application – et accepte les conditions générales d’utilisation (CGU), sans les lire de manière exhaustive dans la plupart des cas. Pour autant, l’utilisateur a-t-il vraiment donné son accord ? De plus, l’utilisation de certaines applications plonge les utilisateurs dans des états proches de l’addiction. En fait, l’application profitera du caractère addictif du jeu pour déclencher des achats « in-app » de nature impulsive. Ainsi, l’utilisateur ayant une appétence pour l’application, ayant envie de découvrir plus d’options, peut ressentir une forme d’oppression, soit un état psychologique qui dégrade sa capacité de rationalité. Mettre en place des tactiques qui créent cet état psychologique pose des questions d’éthique évidentes.

Comment corriger ces déficiences éthiques ?

Pour éviter de se retrouver dans une situation éthiquement délicate, les industriels disposent de plusieurs solutions. Trois d’entre elles sont particulièrement attendues. Tout d’abord, se montrer transparent dans l’utilisation des données personnelles des utilisateurs en indiquant de façon explicite lors du téléchargement ce que deviendront ces données, ou en laissant le droit ou la possibilité à l’utilisateur de savoir, s’il le souhaite, ce que sont devenues ses données. Ensuite, utiliser avec parcimonie la publicité sur les réseaux sociaux. Enfin, limiter les comportements addictifs en identifiant les profils d’utilisateurs vulnérables et en manifestant de l’empathie à leur endroit via des programmes de sensibilisation ciblés. Ces actions, dont la liste n’est pas exhaustive, pourraient avoir un effet doublement positif pour les applications concernées : un bouche-à-oreille favorable et des revenus d’entreprise perçus par les consommateurs de manière moins équivoque. En effet, les pratiques éthiquement douteuses qui peuvent supporter les modèles d’affaires de l’économie numérique sont désormais bien connues des consommateurs et ont tendance à repousser les utilisateurs. A l’heure de la montée en puissance de l’empowerment des consommateurs, la bienveillance semble être une valeur fortement attendue, en particulier dans le secteur des applications mobiles.

https://afmmarketingblog.wordpress.com/2021/12/16/ethique-le-modele-d-affaires-des-applications-mobiles-gratuites-jeux/

Ne croyez pas que le prospectus est mort. Les consommateurs l’apprécient !

STOP PUB. Ce petit autocollant que certain.e.s d’entre nous ont apposé sur leur boîte aux lettres a-t-il signé l’arrêt de mort des prospectus ? Non, semble-t-il ? Près de 20 milliards de prospectus papier sont émis chaque année en France. On comprend aisément l’intérêt des enseignes alimentaires mais également généralistes qui y voient un outil phare de leur stratégie commerciale : stimuler temporairement le trafic et le chiffre d’affaires, renforcer leur image-prix, nourrir leur expertise perçue dans une catégorie de produits donnée ou se positionner comme partenaires des célébrations calendaires (Noël, fête des mères, foire aux vins, etc.). Qu’en est-il des consommateurs qui sont 62 % à en consulter au moins un par semaine, pour une moyenne de 16 par semaine ! Quels bénéfices en retirent-il ? Quels sont les coûts de cette consultation ? Au final quelle est leur attitude envers ces prospectus ? C’est cette question qu’adressent Béatrice Parguel et Aïda Mimouni Chaabane dans un numéro récent de Décisions Marketing. Une étude qualitative auprès de 13 consommateurs et une étude quantitative auprès de 221 consommateurs apporte un éclairage parfois surprenant.

Youpi, de la lecture pour le week-end !
Youpi, de la lecture pour le week-end !
Photo de couverture De Spicy World/ Shutterstock

La consultation des prospectus pour d’évidents motifs utilitaires

On pense à raison en premier – et à raison – aux bénéfices utilitaires comme le gain de temps, les économies réalisées, la simplification du choix, etc. mais curieusement, ce n’est pas le bénéfice déterminant dans la formation de l’attitude. De manière surprenante, il est étroitement associé avec l’expression de soi, enfin d’une partie de soi, celle qui a trait au fait de faire attention au prix, de bien gérer son budget, en somme d’être une « bonne ménagère » (sic!).

Mais aussi et surtout pour des raisons hédoniques

Non, ce qui impacte le plus l’attitude, ce sont les bénéfices hédoniques avec d’un côté ceux liés à l’exploration (trouver de nouvelles idées, susciter l’essai de nouveaux produits, se tenir au courant des tendances, etc.) et d’un autre côté ceux liés au divertissement. Lire un prospectus est vécu comme un moment de détente, de plaisir voire comme un amusement en tant qu’objet dans lequel on peut picorer des idées. On est loin de l’image de la consultation des prospectus par ennui.

Et finalement les inconvénients sont peu nombreux

Les consommateurs évoquent deux coûts : environnemental (gâchis de papier, accroissement des déchets, etc.) et budgétaire (incitation à l’achat inutile, dépassement de budget, etc.). Mais seul l’impact écologique impacte négativement l’attitude envers le prospectus. Le consommateur aime-t-il la tentation?

Quelques conséquences pour les managers de la distribution ?

Parmi les recommandations faites par les auteures aux managers, soulignons :

  • pour contrer l’image ennuyeuse et datée et renforcer les bénéfices hédoniques : ré-enchanter le catalogue (qualité du papier, choix des couleurs, théâtralisation des produits ou encore titres plus en écho avec les bénéfices recherchés) à l’instar de l’expérience en magasin.
  • pour maximiser les bénéfices : personnaliser le catalogue sur la base des achats passés.
  • pour limiter les coûts écologiques : développer le prospectus électronique ou associer le catalogue papier avec des leviers digitaux (lien vers des recettes, compléments d’information en ligne). Les enseignes pourraient même aller au delà en profitant du prospectus pour affirmer leur engagement envers l’environnement (papier et encre moins polluants)

Au final, les consommateur.ice.s semblent apprécier les prospectus et y trouver de nombreux avantages. Et vous ? Personnellement, j’ai un STOP PUB sur ma boîte depuis plus de 10 ans. Je vais peut-être l’enlever maintenant !

Parguel B. et Mimouni Chaabane A. (2020), Attitude à l’égard des prospectus : influence des bénéfices et coûts perçus, Décisions Marketing, mis en ligne le 21-10-19.

https://afmmarketingblog.wordpress.com/2020/03/06/ce-que-les-consommateurs-aiment-dans-les-prospectus/

Tu t’es vu quand t’es gros ? De l’efficacité et l’éthique des technologies persuasives pour la promotion de l’activité physique

Le miroir virtuel… source d’expériences…

FaceApp ? Ça vous dit certainement quelque chose ? Peut-être même, comme des millions de Français.e.s, l’avez-vous utilisée et avez-vous partagé la photo de votre visage vieilli sur vos réseaux sociaux. Au-delà de l’aspect amusant et des questions liées à la sécurité des données largement relayées dans la presse, cette application pose la question de l’expérience vécue par les utilisateurs.

… mais aussi dispositif technologique persuasif dans le domaine de la santé

Ce type d’application qui permet de se voir dans le futur est appelé  » miroir virtuel « . Il peut être utilisé pour inciter à arrêter de fumer, faire davantage d’activité physique ou adopter un mode de vie sain. Il devrait permettre en personnalisant la menace liée au comportement ciblé, en réduisant la distance temporelle entre le soi présent et un soi futur craint et en matérialisant le soi futur craint (représentation concrète) de provoquer des réactions fortes et ainsi de motiver le changement de comportement prôné. Qu’en est-il vraiment? Quelles sont les réactions sensorielles, affectives, cognitives et comportementales d’un individu confronté aux conséquences d’un comportement menaçant sa santé ? De telles techniques sont-elles efficaces ? Ethiques ?

Amira Berriche,  Annabel Martin et Daphné Villain apportent des éléments de réponse à ces questions importantes et encore peu explorées dans un article publié dans un numéro de Décisions Marketing consacré au marketing de la santé.

Et dans le cas particulier de la promotion de l’activité physique ?

Dans un premier temps, les auteures proposent un schéma de caractérisation de l’expérience de menace persuasive en promotion de la santé qui adopte une approche plus large que la simple focalisation sur la perception du risque et qui tient compte de l’ensemble des réponses subjectives internes perçues.

Dans un second temps, par une étude qualitative menée auprès de 10 femmes et 8 hommes en activité de 21 à 33 ans, elles identifient les réactions provoquées par le fait de se visualiser obèse avec l’application FatBooth.

Image tirée de la page de l’appli FatBooth.

Au final, les auteures mettent en évidence 4 profils :

  1. Les personnes non engagées dans l’activité physique et se percevant comme non vulnérables au risque d’obésité. Elles sont en phase de précontemplation : elles résistent à reconnaitre qu’un comportement sédentarité peut être néfaste et qu’il doit être modifié. Se voir obèse provoque des réactions d’amusement ou à l’inverse de rejet de l’image virtuelle, mais dans l’ensemble induit une prise de conscience sur les bienfaits de la pratique de l’activité physique. La technologie est éthiquement évaluée favorablement.
  2. Les personnes non engagées mais qui se considèrent comme vulnérables. Elles sont dans la phase de contemplation: conscientes de la potentielle prise de poids mais pas encore prêtes à s’engager dans l’activité physique. Leurs réactions rejoignent celles du groupe précédent avec cependant une identification plus forte à l’image virtuelle, une plus grande incarnation.    
  3. Les personnes engagées dans la pratique de l’activité physique et qui se considèrent non vulnérables. Elles sont dans la phase d’action. L’exposition à leur image virtuelle obèse provoque des émotions négatives  » anticipatives  » de mal-être, d’image de soi dégradée voire de dégoût, bien plus nombreuses que les réactions d’amusement mais semble sans effet sur leur motivation à pratiquer l’activité physique. Leur évaluation éthique de la technologie est clairement défavorable : elle porte atteinte à leur identité personnelle et est source potentielle de stigmatisation des obèses.
  4. Les personnes engagées mais qui craignent d’être découragées et se sentent vulnérables. En phase de maintien, leur défi est de résister aux tentations de retour à l’inactivité physique. Leurs réactions sont multiples et intenses : choc, dégoût, honte et culpabilisation anticipative. Contrairement au profil 3, ces réactions négatives pourraient les motiver à maintenir voire à renforcer leur activité physique. Leur évaluation éthique est neutre.

Si le support change, ces dispositifs technologiques persuasifs reposent sur un appel à peur… qui a montré ses limites dans le cadre de la prévention santé. On peut donc douter de leur efficacité réelle, en plus d’être éthiquement questionnables.

Berriche A.,  Martin A. et Villain D., Ethique et expérience du Soi Futur Virtuel en changement de comportement de santé. Application à l’activité physique. Décisions Marketing, 96, 15-33.

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