Avec 17% d’aliments jetés par repas dans la restauration collective, la réduction du gaspillage alimentaire est devenue une préoccupation centrale et même un objectif fixé par les pouvoirs publics. En France, il est question de réduire de moitié le phénomène d’ici 2025. Alors comment mieux sensibiliser les usagers et modifier leurs comportements ? Quel est le rôle des normes personnelles et sociales dans les comportements de gaspillage des consommateurs ? Concrètement, quelles sont les pistes d’actions à privilégier ? Telles sont les questions soulevées par Maxime Sebbane, Sandrine Costa et Lucie Sirieix dans une étude publiée dans Décisions Marketing.
Qu’entend-on par normes personnelles et normes sociales ?
Les normes personnelles correspondent à des valeurs, à un sentiment d’obligation morale à agir d’une certaine manière. Les sanctions/gratifications qui résultent de l’adoption ou non du comportement sont auto-administrées et peuvent générer des sentiments positifs/négatifs. Le sentiment d’obligation morale et les regrets anticipés impactent l’intention de ne pas gaspiller. Pour autant, cette norme de non-gaspillage est-elle active dans un contexte spécifique de restauration collective, lors d’un déjeuner ? Pour les auteur.e.s, la réponse est « oui » mais l’organisation du restaurant et le caractère public de cette consommation nécessiteraient également la prise en compte de la dimension sociale.
Les normes sociales subjectives sont quant à elles des croyances fondées sur les attentes d’un groupe. On distingue la norme sociale descriptive (ce que les autres font) et la norme sociale injonctive (ce que les autres approuvent/désapprouvent). Ces deux normes peuvent agir sur le comportement. Le marketing social et la psychologie sociale soulignent que ces normes aident notamment à mieux comprendre des comportements tels que le tri des déchets alimentaires, les comportements pro-environnementaux, le niveau de consommation alimentaire, le gaspillage. Dans un restaurant collectif, les auteur.e.s supposent que la pression sociale peut être activée au niveau du groupe avec lequel on mange (proximité immédiate) et au niveau de l’ensemble du restaurant (proximité élargie).
Pour mettre en évidence ces influences, une méthodologie basée sur un dispositif photographique est retenue. Vingt-trois entretiens auprès d’adultes et d’étudiant.e.s fréquentant régulièrement des restaurants collectifs pour le déjeuner ont été conduits. Des séries de photos ont été présentées pour stimuler le discours, ce dernier ayant été analysé au moyen d’une analyse de contenu thématique.
Concrètement, comment agissent ces normes dans un contexte de restauration collective ?
Si les résultats de l’étude mettent en évidence une norme personnelle de non-gaspillage, la restauration collective apparait comme un contexte peu favorable à son activation. Les conséquences perçues du gaspillage sont d’ordre éthique pour la plupart (la faim dans le monde par exemple) et les usagers ne se perçoivent pas comme fortement capables d’éviter le gaspillage.
Concernant les normes sociales, la saillance des normes descriptives est faible (l’intérêt porté au comportement des autres étant limité). Lorsqu’elles le sont, leurs effets peuvent aller dans des directions opposées et les actions de sensibilisation basées sur une norme descriptive négative (par exemple, révéler les comportements gaspilleurs) peuvent avoir un effet boomerang. Pour ce qui est des normes injonctives de non-gaspillage entre les usagers, leur transmission est inexistante à l’échelle du restaurant (proximité élargie) et fortement limitée autour de la table (proximité immédiate). Les pratiques du personnel de restauration peuvent transmettre des signaux qui inciteraient au contraire, les usagers à gaspiller et les campagnes de sensibilisation axées sur cette norme ont un impact limité.
Alors, quels leviers pour agir sur les comportements ?
Avant toute chose, focalisons-nous sur l’organisation du restaurant et les pratiques du personnel. Il est primordial de diminuer dans un premier temps les signaux interprétés comme un « droit » au gaspillage et accroître la perception par l’usager qu’il a la capacité d’agir pour réduire son propre gaspillage. Rendre visible le coût du pain, permettre de se servir soi-même et proposer différentes tailles d’assiette sont des pistes possibles. Ensuite, il faut communiquer pour sensibiliser l’usager dans le but de renforcer la capacité d’action des convives (exemple de message : « Pour répondre à l’appétit de chacun, nous vous proposons deux tailles d’assiette »), de renforcer la saillance de la norme descriptive (ex : « Dans ce restaurant, X% des convives ne laissent rien dans leur assiette ») ou encore d’éveiller la conscience sur les conséquences du gaspillage (ex : « Soit l’équivalent de X€ qui ne finissent pas dans notre poubelle »).
Bref, le gaspi, ça suffit !