Marketing et Business Models soutenables
Rédacteurs en chef invités
- Elisa Monnot (Laboratoire ThEMA UMR CNRS 8184 - CY Cergy Paris Université)
- Benoît Demil (Université de Lille, IAE et LUMEN)
- Xavier Lecocq (Université de Lille, IAE et LUMEN )
Contexte du numéro spécial
Le développement des activités humaines et, en premier lieu, des activités économiques produit des effets positifs et négatifs touchant leur environnement naturel et social. Les effets négatifs sont de plus en plus visibles et d’une ampleur inégalée. Ils amènent à s’interroger sur la soutenabilité des modes d’organisation et de consommation actuels et à les remettre en cause. La capacité à répondre aux dérèglements climatiques, à la raréfaction des ressources, à la baisse de la biodiversité mais aussi aux questions d’inégalités, de santé ou de pauvreté sont mis en avant par l’ONU comme garante d’une soutenabilité du développement humain. L’ONU recense ainsi 17 enjeux majeurs à relever pour concilier prospérité et préservation de la planète1, qui représentent autant de défis à relever, et appelle à une coopération entre tous les acteurs, associatifs, privés et publics.
Les questions de responsabilité ne sont pas nouvelles dans le domaine de la gestion dans lequel se sont constitués des courants partageant l’idée que les organisations – au premier chef, les entreprises – avec leurs approches des problèmes et leurs ressources, sont bien placées pour prendre leur part dans la résolution de ces enjeux, voire pour suppléer les
politiques publiques (Porter, 2021). Le marketing social a ainsi été structuré depuis les années 1970 pour influencer et modifier les comportements en vue d’améliorer la santé, protéger l’environnement et les communautés (Kotler et Lee, 2008, p.7). La Responsabilité Sociale des Entreprises, complétée récemment par les critères ESG (Environnementaux, Sociaux et Gouvernance), s’est développée sur la volonté de réconcilier objectifs sociaux, environnementaux et économiques. L’approche Bottom of the Pyramid (BoP) propose depuis une vingtaine d’années d’améliorer la vie des populations à faibles revenus en mettant en place des offres de façon adaptée pour traiter des questions comme la pauvreté ou l’accès au soin, au crédit ou à une alimentation saine. Il ne s’agit pas de philanthropie envers les pays à faibles revenus mais de souligner la possibilité, pour les entreprises, de mener des activités profitables, tout en trouvant des solutions aux problèmes concrets des consommateurs (Prahalad, 2004). Plus récemment, les publications sur les « grands challenges » se sont multipliées dans les revues de gestion. Ils se définissent comme les obstacles à aborder par des efforts coordonnés et dont la résolution aurait un impact majeur sur les problèmes sociétaux d’aujourd’hui (George et al., 2016, p.1881). Là encore, cette approche fait le pari d’une possible réconciliation entre activités économiques et résolution des questions sociétales et environnementales. Ces différentes « solutions » face aux problèmes de soutenabilité ne sont pas sans limites. Banerjee (2003) critique ainsi une vision occidentale de la nature dans l’idée de soutenabilité. Kaldewey (2018) souligne les modifications culturelles portées par le terme de « grands challenges », empreint de compétition.
Au-delà des approches évoquées, une façon possible de répondre aux défis de la soutenabilité consiste à reconsidérer les business models actuels dans les différentes activités humaines en relation avec leur écosystème (Snihur et Bocken, forthcoming). Le concept de business model est devenu central dans la façon de penser les activités des organisations. Il décrit la manière dont une entité (i.e., une entreprise, une ONG, une association…) opère pour assurer sa ou ses missions (Demil et al., 2018). Il définit ainsi le processus de création de valeur pour les clients, les parties prenantes intégrant l’écosystème et le processus de capture de valeur de l’organisation. Au-delà du concept, le business model constitue aujourd’hui une vision intégrée de l’entreprise, allant au-delà des silos des fonctions ou des disciplines, en traitant de l’offre, des clients, de l’organisation, des ressources et de la dimension financière, dans une même analyse.
Depuis quelques années, les organisations sont confrontées aux processus d’innovation de business model, définie comme le fait de créer un nouveau business model ou de mener des changements dans celui d’une entreprise (Foss et Saebi, 2017). Les nouveaux business models sont ceux de nouveaux entrants dans un secteur, des disrupteurs issus d’un secteur adjacent, ou encore des entreprises installées qui font évoluer leur manière d’opérer. Différents travaux en marketing les ont étudiés en matière de distribution (Coombes et Nicholson, 2013 ; Sorescu et al., 2011 ; Volle et al., 2008 ; Jocevski, 2020) ou dans le cas de la seconde main, par exemple (Yrjölä, Hokkanen et Saarijärvi, 2021). Des chercheurs en marketing ont également analysé la déstabilisation de business model, des usages ou des pratiques, induite par certains modes de consommation supposés durables comme la mobilité électrique (Von Pechmann et al., p.83) ou le vrac (Daniel-Chever et al., 2022). De plus, pour capitaliser sur leurs efforts en matière de durabilité, les entreprises doivent les présenter de manière significative aux consommateurs, c'est-à-dire les traduire (Viciunaite, 2022). Des travaux investiguent ainsi la question de la légitimité, à la fois dans les discours visant à asseoir la position d’un acteur sur un marché (Zaidi Chtourou et Vernier, 2017) mais aussi dans le développement même des business models durables (Press, Robert et Maillefert, 2020).