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Les marques s’engagent dans des échanges conversationnels avec les consommateurs sur les réseaux sociaux. Mais leurs pratiques linguistiques suscitent des réactions ambivalentes.

Indéniablement, l’essor des réseaux sociaux a permis aux marques de communiquer d’une manière plus horizontale avec les consommateurs. Elles sont ainsi entrées de plain-pied dans l’ère de la conversation virtuelle, entendue ici comme une suite de messages échangés en ligne et en public avec des internautes, sur des médias aussi différents du point de vue des pratiques linguistiques que Facebook, Twitter ou TikTok. Pour autant, maîtriser les leviers d’une conversation virtuelle de marque n’est pas si simple. L’article que viennent de publier Andria Andriuzzi et Géraldine Michel dans Recherche et Applications en Marketing nous invite fort justement à comprendre l’efficacité des prises de parole virtuelles de la marque à partir d’une perspective originale, celle des efforts de figuration de la marque en vue de valoriser ses clients, mais aussi de restaurer leur sentiment de liberté.

Conversation autour d’une lecture de Molière par Jean-François de Troy, vers 1728 :
les conversations au sein des communautés de marque sont-elles si différentes ?

Faire bonne figure et ne pas perdre la face

Pour le sociologue Erving Goffman, les individus engagés dans une interaction sociale cherchent à faire bonne figure tout en faisant en sorte que les autres ne perdent pas la face. Ces efforts de figuration ou face-work se manifestent par des pratiques conversationnelles visant d’une part, à renforcer la face de l’autre et d’autre part, à atténuer les demandes susceptibles d’être perçues comme une menace à la liberté de son ou ses interlocuteurs. Après avoir analysé les conversations virtuelles de marques opérant dans les secteurs de la grande consommation, des services ou de l’automobile, les auteurs montrent que les marques ont réussi à s’approprier, au moins partiellement, les règles du face-work. Mais ils mettent également en évidence les réactions ambivalentes des internautes exposés à ces pratiques linguistiques.

Suspicions de flatterie et procès en insincérité

Au cœur du face-work déployé par les community managers, figurent les actes de reconnaissance des internautes. Ainsi, les community managers cherchent-ils à créer de la coopération et du soutien dans la communauté de marque en utilisant des procédés d’inclusion, d’optimisme ou de sympathie. Ils procèdent également à des actes de valorisation qui vont des signes d’approbation à des traits d’humour, en passant par des compliments appuyés (« C’est parce que nous avons des supers ambassadeurs !! »). Toutefois, pour nombre d’internautes, les actes de reconnaissance des marques peuvent s’apparenter à des tentatives de manipulation commerciale. En particulier, les réponses jugées trop valorisantes ou l’hyperpolitesse, comme une forme de déférence très marquée vis-à-vis du consommateur, provoquent l’exaspération des internautes et mettent en question la sincérité de la marque.

Adapter les stratégies conversationnelles à la maturité des clients

Sur les réseaux sociaux, les marques ont massivement recours aux call-to-action pour obtenir l’engagement des consommateurs. Pour les community managers, une stratégie conversationnelle relativement fréquente consiste à atténuer la directivité des call-to-action, par l’utilisation de formules interrogatives plutôt qu’ impératives, par la dépersonnalisation des propositions, ou encore en offrant systématiquement plusieurs options au consommateur. Toutefois, l’accueil tant des call-to-action que des procédés conversationnels qui visent plutôt à les atténuer, dépend beaucoup de la proximité psychologique que la marque aura su établir avec ses clients. Plus celle-ci est grande, et plus les internautes auront tendance à apprécier des démarches directes et sans faux-semblants. A l’inverse, si la marque intervient sans être sollicitée dans une communauté, un registre neutre sera davantage accepté que des call-to-action intempestifs.

En résumé, les règles du jeu conversationnel entre marques et internautes suggèrent en arrière-plan la forte conscience que les consommateurs ont de la nature commerciale des interactions, et leur souci de se soustraire à toute forme de manipulation. Dès lors, il importe que les community managers adaptent leur pratique du face-work aux contextes commerciaux dans lesquels évolue la marque et prennent davantage en compte les attentes d’authenticité conversationnelle exprimées par ses clients les plus fidèles.

Andriuzzi, A. & Michel, G. (2021), La conversation de marque : pratiques linguistiques sur les médias sociaux selon la théorie du face-work, Recherche et Applications en Marketing, 36, 41-62

https://afmmarketingblog.wordpress.com/2021/02/11/conversation-de-marque-community-management-cm/

De l’hyperpolitesse aux call-to-action : faux-pas conversationnels des marques à l’heure du community management